JULES VALLES (1831-1835) ET LE MEZENC
Dans son roman L’Enfant, au chapitre « Voyage au pays », Jules Vallès évoque le pays du Mézenc qu’il avait connu lors des vacances scolaires qu’il passa chaque été, entre onze et quinze ans, chez son grand-oncle paternel, Thomas Vallez, curé de la paroisse de Chaudeyrolles, ainsi que les souvenirs des sensations que lui procurait le grand air de la montagne.
cliché L. Bolo
« Le cimetière est près de l’église et il n’y a pas d’enfants pour jouer avec moi ; il souffle un vent dur qui rase la terre avec colère, parce qu’il ne trouve pas à se loger dans le feuillage des grands arbres. Je ne vois que des sapins maigres, longs comme des mâts, et la montagne apparaît là-bas, nue et pelée comme le dos décharné d’un éléphant.
« C’est vide, vide, avec seulement des bœufs couchés, ou des chevaux plantés debout dans les prairies !
Il y a des chemins aux pierres grises comme des coquilles de pèlerins, et des rivières qui ont les bords rougeâtres, comme s’il y avait eu du sang ; l’herbe est sombre. Mais, peu à peu, cet air cru des montagnes fouette mon sang et me fait passer des frissons sur la peau. J’ouvre la bouche toute grande pour le boire, j’écarte ma chemise pour qu’il me batte la poitrine. Est-ce drôle ? Je me sens, quand il m’a baigné, le regard si pur et la tête si claire !…
« C’est que je sors du pays du charbon avec ses usines aux pieds sales, ses fourneaux au dos triste, les rouleaux de fumée, la crasse des mines, un horizon à couper au couteau, à nettoyer à coups de balai…
Ici le ciel est clair, et s’il monte un peu de fumée, c’est une gaieté dans l’espace – elle monte comme un encens, du feu de bois mort allumé là-bas par un berger, ou du feu de sarment frais sur lequel un petit vacher souffle dans cette hutte, près de ce bouquet de sapins…
« Il y a le vivier, où toute l’eau de la montagne court en moussant, et si froide qu’elle brûle les doigts. Quelques poissons s’y jouent. On a fait un petit grillage pour empêcher qu’ils ne passent. Et je dépense des quarts d’heure à voir bouillonner cette eau, et l’écouter venir, à la regarder s’en aller, en s’écartant comme une jupe blanche sur les pierres !
« La rivière est pleine de truites. J’y suis allé une fois jusqu’aux cuisses ; j’ai cru que j’avais les jambes coupées avec une scie de glace. C’est ma joie maintenant d’éprouver ce frisson. Puis j’enfonce mes mains dans tous les trous, et je les fouille. Les truites glissent entre mes doigts ; mais le père Régis est là, qui sait les prendre et les jette sur l’herbe, où elles ont l’air de lames d’argent avec des piqûres d’or et de petites taches de sang. »
Ce passage est assez remarquable. D’abord parce qu’il est sans doute le seul écrit d’un auteur célèbre sur Chaudeyrolles. Ensuite, parce que l’œuvre de Vallès ne contient que peu de descriptions de la campagne et de la nature ; d’ailleurs, dans ce passage, il ne cite pas le nom de Mézenc ! C’est que Jules Vallès était avant tout un citadin, un Parisien même. Mais cela ne l’a pas empêché d’évoquer souvent son Velay natal, auquel il est toujours resté sentimentalement attaché :
« Mon berceau fut au pied des montagnes. J’aime la ville parce que j’y ai beaucoup lutté, un peu souffert, que j’ai des revanches à prendre. Mais je tiens par les racines à la terre des champs. » écrit-il dans La rue.
J.-L. J.
2015