“Depuis une cinquantaine d’années, ils avaient pourtant vu sans vraiment réagir les centres commerciaux s’étendre sans fin autour de leurs villes et en vider la substance, les lotissements déformer leurs villages et répandre dans les régions la banalité d’architectures et de matériaux anonymes, les antennes de toutes sortes humilier leurs clochers et leurs monuments. C’était le progrès.
Entrepreneurs, élus locaux, idéologues ont ainsi pensé au début, il y a une vingtaine d’années, que l’industrie éolienne, accompagnée d’un vocabulaire «cool» soigneusement étudié – des fermes, des parcs, des moulins, une énergie propre -, se répandrait dans l’assentiment général, voire l’allégresse. Cela a tout de suite coincé, dès que l’on a vu les premiers aérogénérateurs s’élever. Tout ce qui autrefois paraissait alentour désagréable au regard – châteaux d’eau, pylônes, lignes à haute tension, hangars – semblait désormais négligeable. Une blessure plus violente, triste bénéfice, faisait oublier les autres. Autour des gigantesques mâts, la campagne était réduite aux proportions d’une maquette ferroviaire, une parodie du pays dont nous devenions, hommes, femmes, enfants, chevaux et vaches, animaux familiers, animaux sauvages, les dérisoires figurines. Ces hauteurs d’acier déclassaient d’un coup des proportions familières aux hommes depuis toujours. Forêts, collines, châteaux, églises, granges, maisons, tout était toisé, tassé, diminué, rabaissé.
La loi proclame le caractère inaliénable des rivages maritimes. Les rivages du ciel ne sont pas moins indispensables à la respiration des hommes.(…)”